La
Confiture de Nouilles
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
La Confiture de Nouilles, qui est une des
gloires de la confiserie française et dont nous allons vous
démontrer les différentes phases de fabrication, remonte
à une époque fort lointaine; d'après les renseignements
qui nous ont été communiqués par le conservateur
du Musée de la Tonnellerie, c'est le cuisinier de Vercingétorix
qui eut, le premier, l'idée de composer ce chef-d'uvre
de la gourmandise.
Il faut reconnaître que, d'ailleurs, la nouille n'existant
pas à cette époque, ladite confiture de nouilles était
faite du gui ; mais alors, me diront les ignorants : "Ce n'était
pas de la confiture de nouilles, c'était de la confiture
de gui !" Erreur, que je leur répondrai: c'était
de la confiture de nouilles fabriquée avec du gui.
Avant d'utiliser la nouille pour la confection de la confiture,
il faut évidemment la récolter; avant de la récolter,
il faut qu'elle pousse, et pour qu'elle pousse, il va de soi qu'il
faut d'abord la semer.
Les semailles de la graine de nouille, c'est-à-dire les senouilles,
représentent une opération extrêmement délicate.
Tout
d'abord, le choix d'un terrain propice à la fécondation
de la nouille demande une étude judicieusement approfondie.
Le terrain nouillifère type doit être, autant que possible,
situé en bordure de la route départementale et à
proximité de la gendarmerie nationale.
Avant de semer la graine de nouille, les nouilliculteurs préparent
longuement le champ nouillifère pour le rendre idoine à
la fécondation. Ils retournent la terre avec une charrue
spéciale dont le soc est remplacé par une lame Gillette,
ensuite délaissant les engrais chimiques, nettement contre-indiqués
dans le cas présent, ils fument le champ nouillifère
avec du fromage râpé. Cette opération s'effectue
indifféremment avec une seringue ou une pompe à vélo.
Lorsque le champ est suffisamment imprégné de fromage
râpé, on verse sur toute sa surface de l'alcool de
menthe dans la proportion d'un verre à Bordeaux par hectare
de superficie; cette opération qui est confiée à
des spécialistes de l'École de Nouilliculture, est
effectuée avec un compte-gouttes.
Après cela, on laisse fermenter la terre pendant toute la
durée de la nouvelle lune et dès l'apparition du premier
quartier, on procède alors aux senouilles de la graine de
nouilles.
Il ne faudrait pas vous imaginer, Mesdames
et Messieurs, que la graine de nouilles est d'un commerce courant
et qu'on la trouve communément chez les grainetiers ; si
vous croyez cela, il est indiscutable que vous broutez les coteaux
de l'erreur. La graine de nouilles ne s'obtient qu'après
une très longue préparation de laboratoire, car elle
est le produit d'un croisement de foie de veau avec le concombre
adulte; voici d'ailleurs quelques précisions sur cette merveilleuse
conjonction qui est la gloire de nos chimistes, dont la science
n'a d'égale que la modestie.
On met côte à côte, dans une lessiveuse, une
tranche de foie de veau et un concombre adulte, on place le tout
dans un autoclave et on l'y laisse 45 jours à une température
de 120º sous la bienveillance d'un contrôleur de la Compagnie
du Gaz; au bout de ce laps de temps, on ouvre l'appareil et on n'a
plus qu'à recueillir la précieuse graine que l'on
va verser dans la terre prête à la recevoir et qu'elle
va féconder.
Les senouilles s'effectuent à l'aide d'un poêle mobile
dans lequel est versée la graine, laquelle est projetée
dans la terre par un dispositif spécial dont il ne nous est
pas permis de révéler le secret pour des raisons de
défense nationale que l'on comprendra aisément. Après
ça, on arrose entièrement le champ avec des siphons
d'eau de seltz, on sèche ensuite avec du papier buvard, on
donne un coup de plumeau et on n'a plus qu'à s'en remettre
au travail de la terre nourricière et à la nature
immortelle, généreuse et démocratique.
Lorsque les senouilles sont terminées,
les nouilliculteurs qui sont encore entachés de superstition,
consultent les présages; ils prennent une petite taupe, la
font courir dans l'herbe et si elle fait : "ouh!" c'est
que la récolte sera bonne; si elle ne fait pas "ouh!"
c'est que la récolte sera bonne tout de même, mais
comme cela les croyances sont respectées, et tout le monde
est content.
Pendant la germination, il n'y a presque rien à faire ; tous
les huit jours seulement, on arrose le champ avec de l'huile de
cade, de la cendre de cigare, du jus de citron et de la glycérine
pour éviter que la terre ne se crevasse.
Pendant la moisson, les nuits sont témoins de saines réjouissances
auxquelles se livrent les travailleurs de la nouilliculture, la
jeunesse danse et s'en donne à cur joie aux sons d'un
orchestre composé d'un harmonium, d'une mandoline et d'une
trompette de cavalerie ; les jeunes gens revêtent leur costume
régional composé d'une redingote, d'une culotte cycliste,
d'espadrilles et d'un chapeau Cronstadt ; les jeunes filles, rougissantes
de joie pudique, sont revêtues de ravissantes robes de toile
à cataplasme, ornées d'empiècements en schpoutnoutz,
et se ceignent le front d'une couronne d'ufs durs du plus
gracieux effet. Un feu d'artifice tiré avec des lampes Pigeon
clôture la série des réjouissances et chacun
rentre chez soi, content du labeur accompli, pour procéder
alors à la confection de la confiture de nouilles, objet
de la présente étude.
La nouille encore à l'état brut, est alors soigneusement
triée et débarrassée de ses impuretés;
après un premier stade, elle est expédiée à
l'usine et passée immédiatement au laminouille qui
va lui donner l'aspect définitif que nous lui connaissons
- le laminouille est une machine extrêmement perfectionnée,
qui marche au guignolet-cassis et qui peut débiter jusqu'à
80 kilomètres de nouilles à l'heure ; à la
sortie du laminouille, la nouille est passée au vernis cellulosique
qui la rend imperméable et souple; elle est ensuite hachée
menue à la hache d'abordage et râpée.
Le râpage se fait encore à la
main et avec une râpe à bois. Après le râpage,
la nouille est alors mise en bouteilles, opération très
délicate qui demande énormément d'attention
; on met ensuite les bouteilles dans un appareil appelé électronouille,
dans lequel passe un courant de 210 volts; après un séjour
de 12 heures dans cet appareil, les bouteilles sont sorties et on
vide la nouille désormais électrifiée dans
un récipient placé lui-même sur un réchaud
à alcool à haute tension.
On verse alors dans ledit récipient : du sel, du sucre, du
poivre de Cayenne, du gingembre, de la cannelle, de l'huile, de
la pomme de terre pilée, un flocon de magnésie bismurée,
du riz, des carottes, des peaux de saucisson, des tomates, du vin
blanc, et des piments rouges, on mélange lentement ces ingrédients
avec la nouille à l'aide d'une cuiller à pot et on
laisse mitonner à petit feu pendant 21 jours. La confiture
de nouilles est alors virtuellement terminée.
Lorsque les 21 jours sont écoulés,
que la cuisson est parvenue à son point culminant et définitif,
on place le récipient dans un placard, afin que la confiture
se solidifie et devienne gélatineuse; quand elle est complètement
refroidie, on soulève le récipient très délicatement,
avec d'infinies précautions et le maximum de prudence et
on balance le tout par la fenêtre parce que c'est pas bon!
Voilà, Mesdames et Messieurs, l'histoire de la confiture
de nouilles, c'est une industrie dont la prospérité
s'accroît d'année en année, elle fait vivre
des milliers d'artisans, des ingénieurs, des chimistes, des
huissiers et des fabricants de lunettes. Sa réputation est
universelle et en bonne ambassadrice, elle va porter dans les plus
lointaines contrées de l'univers, et par-delà les
mers océanes, le bon renom de notre industrie républicaine,
une et indivisible et démocratique.
Maintenant
ke vous voilà au courant,( j'espère ke vous avez noté
cette merveilleuse recette, ou vous pourrez revenir la consulter
ici) si vous voulez remonter en haut de la page........ 
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